13.05.2025

Pour une trahison des images !

Tanguy Wera
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Dans les référentiels de compétences, il est attendu que les élèves s’attèlent, au 2e et 3e degré au cours de français, à recomposer une œuvre culturelle c’est-à-dire qu’ils s’attachent à créer une nouvelle œuvre par déplacement ou suppression d’éléments d’une ou plusieurs œuvres sources. Si la dimension ludique de la démarche apparait sans difficulté, il peut être davantage complexe d’amener les élèves à faire en sorte que cette démarche porte la trace de leur regard critique d’une part sur la société dans laquelle ils vivent, d’autre part sur les soubassements culturels de celle-ci. Ainsi, nous avions pris l’option d’explorer l’orientalisme, sous-genre du romantisme, dont il est attendu par le programme qu’il ait été exploré au cours de la 4e année. Au travers d’œuvres littéraires de Lamartine, Hugo, Dumas et d’œuvres picturales de Chassériau, Ingres, Gérôme, Delacroix et quantité d’autres, les élèves se sont attachés, par l’analyse, la présentation et la comparaison des œuvres, à dégager des caractéristiques formelles attestant que les œuvres orientalistes, non contentes de se fondre dans un moule relativement convenu, en disaient souvent bien plus sur le regard et les fantasmes de leurs créateurs que sur une quelconque réalité géographique et historique. Sans le savoir, les élèves s’inscrivaient ainsi dans le droit fil des travaux devenus classiques d’Edward Saïd.

Prise de recul

Au terme de cette exploration, trois éléments de réflexions ont été apportés aux élèves afin de leur permettre de questionner les réminiscences contemporaines du regard orientaliste. Premièrement l’essai notre dignité de Nesrine Slaoui, développant le concept d’arabisogynie s’attachait à montrer de quelle manière les femmes identifiées comme musulmanes subissent la double-peine du racisme et du sexisme, renvoyées tantôt à la figure de la voilée, chaste et prude, enfermée dans le carcan de son orthodoxie religieuse, tantôt à celle de la beurette, dénigrée, hypersexualisée et objet passif de conquête erotico-exotique. La polémique médiatique créée autour de l’affirmation du chroniqueur Jean-Michel Apathie « Chaque année, en France, on commémore ce qui s’est passé à Oradour-sur-Glane, c’est-à-dire le massacre de tout un village. Mais on en a fait des centaines, nous, en Algérie. Est-ce qu’on en a conscience ? » a été l’objet d’une deuxième réflexion : Quel imaginaire colonial persiste en France à l’heure où cette affirmation – sans pourtant être critiquée par aucun historien – vaut néanmoins à son auteur d’être invité à présenter ses excuses et faire un pas de côté ? Le troisième objet de réflexion, l’essai intitulé sobrement Djamila Boupacha co-écrit par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir se donnait à voir comme une synthèse dépassant les deux exemples précités : d’une part, il donnait à voir des modèles de femmes –Gisèle Halimi, avocate franco-tunisienne et Djamila Boupacha, militante algérienne du FLN – qui se démarquaient des clichés sexistes et racistes qui seront mis en lumière, un demi-siècle plus tard, par Nesrine Slaoui. D’autre part, la démonstration froide des crimes de viol et de torture pratiqués par l’armée française en Algérie s’offrait comme une implacable réponse aux dénégations contemporaines de la barbarie coloniale française en Algérie.

Dans leurs productions, la dimension ludique de la tâche de recomposition picturale a d’abord été une opportunité d’apprentissage. Ainsi Soline écrit : « j’ai choisi d’utiliser Photoshop car c’était, selon moi, la meilleure façon de rester proche de la peinture initiale. De plus, je n’avais jamais utilisé ce programme et j’avais envie de tenter l’expérience ». Ces approches n’enlèvent rien à la qualité d’autres travaux retravaillés par l’ajout d’un simple phylactère ou le changement de carnation d’un personnage par collage ou coloriage. Les deux approches ne s’excluent d’ailleurs pas comme en atteste Victoria : « J’ai tout d’abord voulu faire un montage grâce à une IA mais je ne suis pas parvenue à avoir le résultat que j’attendais. J’ai donc fini, après avoir essayé plusieurs sites de montage, par faire un collage papier une fois tous les éléments imprimés. »

Sur le fond, il en résulte des productions assez géniales comme ce fier Égyptien regardant un vestige d’un sphinx en Napoléon. Vadim a ainsi pris le parti d’inverser complètement l’image de l’Empereur français conquérant qui, ses armées à l’arrière-plan, contemple la splendeur ternie d’une civilisation qui n’aurait plus à offrir que les vestiges archéologiques d’un passé révolu.

Les relectures féministes et antiracistes abondent et sont savoureuses : rhabillant les femmes offertes aux regards concupiscents des spectateurs, assumant leur pilosité ou inversant le canons de beauté qui placent systématiquement les femmes noires à l’arrière-plan, soumises et sages, comme faire-valoir d’une odalisque toujours blanche et exposée sous une lumière crue. Faëlle questionne, en cachant son modèle derrière une burqa, la perpétuation des mêmes imaginaires qui,  au 19e comme aujourd’hui, comme l’écrivait Nesrine Slaoui, ont tôt fait de substituer à l’image fantasmée de la femme libérée sexuellement disponible, celle de la femme soumise et écrasée par les traditions religieuses et culturelles. Replacer les sérails au milieu d’un décor de salons parisien, comme le fait Sophie, questionne aussi la projection du fantasmes vers un ailleurs exotique où tout ne serait que luxure à rebours d’une société française chaste et puritaine.

Autant que le fantasme sexuel, c’est le désœuvrement apparent des postures des modèles que questionnent les étudiant·e·s. Le procédé de mise en abyme, fréquemment utilisé pour mettre en scène le regard du spectateur est lui-même récupérée de manière magistrale par Émilie qui écrit : « j’ai dessiné un appareil photo autour de la peinture pour montrer que les peintres orientalistes ne montrent toujours qu’une toute petite partie de la femme mais ne mettent jamais en avant leur métier, passions,… C’est pour cela que j’ai collé des objets qui font penser que la femme est médecin, mais en dehors de la caméra de l’appareil photo pour signifier que ce n’est pas cela qu’ont choisi de représenter les peintres orientalistes ».

Conclusion

Je vois difficilement comment tirer un meilleur parti des apprentissages que de se mettre à créer sous contrainte et à devoir rendre compte des choix artistiques posés, des valeurs qu’ils traduisent, des messages qu’ils transforment. Ce faisant, les étudiant·e·s se retrouve dans une posture de métacognition en même temps qu’il affute ses grilles de lectures face à au patrimoine artistique comme aux productions contemporaines. Authentique gestes actifs et subversifs les tâches finales élaborées par les 4PAT en cette année 2024-2025 n’ont pas déçu les ambitions que je plaçais en elles en tant qu’enseignant.

23.05.2025

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